Maximon |
Écrit par José Raúl Ordóñez
Je propose dans ce travail de mener une réflexion sur la nature de l’image dans le métissage sacré à partir de deux exemples concrets : le personnage de Maximon, saint hybride catholique maya, et Nayra, la pièce du théâtre de la Candelaria en Colombie.
Expressions de la culture populaire latino-américaine, réponses d’adaptation à une réalité de plus en plus complexe, formes de résistance à l’agression qui n’en finit pas, hier les colons espagnols, aujourd’hui le marché de la globalisation, la puissante pénétration des médias. Dans le cas du Maximon, il s’agit de la prolongation d’une tradition précolombienne liée de façon audacieuse à l’intérieur même de l’église catholique, dans un contexte où d’autres religions ont acquis une influence énorme ces dernières années. Le Maximon survit vigoureusement en s’adaptant aux circonstances. Il est constamment en mouvements, change de visage et parvient à de nouveaux lieux. Dans Nayra, le théâtre mène son enquête sur le malaise d’une évangélisation forcée, violente. Deux images, celle d’un saint métisse et l’image théâtrale.
Amilcar cabral, poète africain ayant consacré sa vie à la lutte contre le colonialisme européen en Afrique, nous surprend avec un concept de culture très lié à l´historie contemporaine latino-americaine : « la culture est faite – dit-il – des réponses qu´un peuple a donné aux crises qui, d´une manière ou d´une autre ont menacé son existence » et il ajoute « elle est faite des manières dont elle a résolu ses conflits internes et externes. Toute réponse aux crises contemporaines est profondément déterminée par les réponses antérieures. (Oramas, 1998)Je propose dans ce travail de mener une réflexion sur la nature de l’image dans le métissage sacré à partir de deux exemples concrets : le personnage de Maximon, saint hybride catholique maya, et Nayra, la pièce du théâtre de la Candelaria en Colombie.
Expressions de la culture populaire latino-américaine, réponses d’adaptation à une réalité de plus en plus complexe, formes de résistance à l’agression qui n’en finit pas, hier les colons espagnols, aujourd’hui le marché de la globalisation, la puissante pénétration des médias. Dans le cas du Maximon, il s’agit de la prolongation d’une tradition précolombienne liée de façon audacieuse à l’intérieur même de l’église catholique, dans un contexte où d’autres religions ont acquis une influence énorme ces dernières années. Le Maximon survit vigoureusement en s’adaptant aux circonstances. Il est constamment en mouvements, change de visage et parvient à de nouveaux lieux. Dans Nayra, le théâtre mène son enquête sur le malaise d’une évangélisation forcée, violente. Deux images, celle d’un saint métisse et l’image théâtrale.
Multiples sont les exemples d´expressions artistiques mettant en évidence un métissage culturel. Dans ce dialogue accidenté de l´histoire, les indigènes et les noirs également ont, pour ainsi dire, colonisé à leur manière des pratiques culturelles allant d`attitudes de la vie quotidienne que l`on pourrait considérer insignifiantes, aux plus transcendantales liées au sacré. Au milieu de cette négociation qui s`est établie entre des cultures différentes apparaît le problème de l`image : comment est-elle perçue, comment les images filtrent elles les tensions, par exemple entre le sacré et le profane, entre l´autoritarisme et l´autonomie des peuples, entre le polythéisme de leurs ancêtres et le monothéisme imposé par le christianisme.
MAXIMÓN
Sous plusieurs gouvernements libéraux, l´église catholique est expulsée pour de longues périodes du Guatemala entre 1823 et le débout des années 30 du XXe siècle. Il n`y avait par exemple en 1924 au Guatemala que 85 prêtres pour tout le pays et beaucoup d`églises furent pratiquement abandonnées. A leur retour, bien des années plus tard, quelle ne fut pas leur surprise de constater que les temples avaient été radicalement transformés par des pratiques d´origines mayas évidentes.
A santiago de Atitlan, village indigène situé sur le lac du même nom et lieu de métissages sacré a été retrouvé , au milieu des traditionnelles statues du catholicisme, un personnage étrange que vénéraient tout particulièrement les indigènes et à qui rendaient fréquemment visite des fidèles ivres saouls. Il s`agit du Maximón Santo, d`origine maya, , expulsé du temple de Santiago en 1917 par un évêque en visite dans la paroisse pour la célébration de la semaine Saine. Pour faciliter son expulsion il l`avait comparé à Judas, le personnage biblique qui trahit Jésus. En 1950, il fut de nouveau expulsé de l`église par les religieux qui tentèrent de le brûler sur la place du village ce qui provoqua une rébellion qui leur valut presque d´être lynchés. Depuis cette époque, la statue passe chaque année de maison en maison de membres appartenant à la confrérie de la sainte croix, et malgré l`opposition de l`église catholique, il fait partie des célébrations de la Semaine Saine.
Mais que est cet étrange personnage à l`origine de tant de controverses ? Sylvie Pedron-Colombani, présente une hypothèses pour expliquer le nom bizarre de ce personnage :
«“Les indiens tzutuhils du village de Santiago appellent plus volontiers Ri laj Man, le -vieux-, l`-ancien- -le vénérable grand père. L`autre hypothèses fait référence au mot maxin, qui pour les Tzutuhils signifie « attache avec ficelles (d`agave) » parce que la statue de Maximon serait ainsi constituée de morceaux de bois assemblés par des cordes de fibres d`agave grâce à une multitude de nœuds. L`anthropologue Robert Carlsen évoque l`association du terme Ma qui signifierait Monsieur et de Xim, le nœud, ce qui reviendrait `traduire Maximon par L`homme noué. (Pedron Colombani, 2004, pag.13)
Jolie métaphore expliquant peut-être son irrémédiable lien avec la tradition catholique, plusieurs récits mythiques expliquent son origine. Il y a bien des années, un groupe de pêcheurs du village devaient fréquemment laisser leurs femmes seules pour aller porter leur poisson à l`ancienne ville de Guatemala. L`un d`entre eux se rendit compte que sa femme avait un amant et qu`elle profitait de ses absences pour le voir. Il la surprit mais sa réaction fut de condescendance vis-à-vis de l`amant, qu`il encouragea à continuer ses visites pendant ses voyages. Toutefois, cette conduite commença à se généraliser chez toutes les femmes des pêcheurs qui décidèrent alors d`y mettre fin en sculptant dans un bois spécial un personnage magique chargé de surveiller leurs femmes. Ainsi prit forme Maximon dont la mission était de rétablir l`ordre dans la conduite sexuelle du village.
Lac Atitlán, photo de Tom Waters |
Malheureusement, au lieu de remplir sa mission, Maximon fit tout le contraire et commença à fréquenter les jeunes filles et se fit également le complice de leurs rencontres avec les jeunes gens du village. Il prit l`apparence des pêcheurs pour coucher avec leurs femmes pendant leurs voyages, etc. Ce désordre prit fin quand les époux décidèrent de mutiler les extrémités du Maximon pour éteindre ses pulsions sexuelles effrénées.
Tel que l`affirme Silvie Perron dans son livre, ce personnage est considéré comme le gardien de l`ordre sexuel du village mais également comme son principal transgresseur. Intervient là le problème de l`évangélisation, le désordre sexuelle étant, dans la tradition chrétienne, lié à un problème moral et considéré comme un pêché alors que dans la tradition maya serait plutôt condescendante soutenant que ce désordre fertilise le monde. D`où la permissivité initiale des hommes face à l`adultère de leurs épouses.
Le Maximon est, entre autres attributs, vindicatif lorsqu`on essaie de lui faire du mal et provoque la mort de plusieurs personnes ayant essayé de le détruire . Il adore la tabac et l`alcool fréquent aussi les prêtres mayas en ingèrent-ils en grandes quantités lors de leurs rituels et lui font des offrandes de nourritures et le sacrifice d`animaux pour obtenir des faveurs. Les légendes disent qui aime se promener dans le village et ses environs se nuit prenant n`importe quelle apparence et laissant sur son passage d`étranges bruits ou de désagréables odeurs. On l`invoque et lui demande son aide pour toutes sortes de besoins, du financier au sentimental. Son culte s`étend aujourd`hui, à toutes les couches de la société guatémaltèque, y compris aux commerçants pour leurs affaires. Il peut également être considéré le gardien de la virginité des jeunes femmes tout en étant alcoolique, fornicateur ou homosexuel. Les prostituées lui consacrent tout un rituel les 28 octobre, jour de la Saint Simon- variante de Maximon- et il protège aussi les travestis et les prostitués masculins.
La semaine Sainte revêt une importance particulière pour son culte. Il participe discrètement aux célébrations de l`église catholique à cette époque
Qui coïncide avec un nouveau cycle maya de fertilité agricole. Le mercredi saint, une offrande de fruits, spécialement apportés pour lui de la côte pacifique, est faite au Maximon. Le Vendredi Saint, jour où Jesus Christ fut descendu de la croix pour être mis au tombeau, a lieu une grande procession qui, au moment où le saint sépulcre revient vers l`église, est interceptée par le Maximon qu`un indien Tzutuhils porte sur son dos et qui danse quelques minutes à quelques mètres de mètres de l`image du Christ dans une attitude qui ne manque jamais de causer une certain tension entre les fidèles de chacune des images. C`est le moment culminant de la journée.
L’église verrait Maximon comme un personnage profane qui dégrade son temple et crée le désordre parmi les fidèles. Il est inacceptable que les fidèles indigènes allant à l’église centrent leur attention sur un personnage ne lui appartenant pas et qui stimule par ailleurs une attitude irrespectueuse pour l’endroit. Il s’agit apparemment d’un personnage qu’on ne prie pas tant qu’on lui parle et qu’on le touche, à qui l’on offre en sacrifice des animaux, à qui l’on attribue de mauvaises odeurs et dont la corporéité ne se produit pas dans le rituel catholique traditionnel. Le culte qu’on lui voue est lié aux cycles de fertilité de la terre, au comportement sexuel de la communauté et à tout ce qui est lié au plaisir, thèmes épineux pour la morale judéo chrétienne et qui confirment sa vocation dionysiaque. Dans ce sens on peut expliquer l’expulsion du Maximon et son assimilation à Judas, comme une stratégie pour le discréditer face à ses fidèles accusés d’idolâtrie. N’oublions pas que la religion est un domaine extrêmement codifié par la pratique rituelle, avec des normes strictes de conduite, et que sa transformation radicale, comme cela s’est produit avec l’intromission du Maximon, est perçue comme intolérable. Le rituel catholique est une sorte de mise en scène qui sépare rigoureusement le rôle du prêtre de celui du fidèle dont la participation est en générale passive et dont le comportement est rigoureusement codifié par la tradition. Il est clairement établi quand il doit s’asseoir, s’agenouiller, prier, chanter, se signer, etc. S’agissant du Maximon, cette relation entre l’image et le croyant est vécue de manière plus interactive, comme s’il s’agissait, d’une certaine façon, d’un jouet mais dans un milieu sacré et sérieux. Il est curieux que la relation avec le Maximon semble être plus personnelle. Il s’occupe de ses fidèles un par un. L’initiative de l’église n’a pas eu l’effet attendu, le fait qu’il soit comparé à Judas l’a peut-être relié plus encore au catholicisme et les indiens l’ont effectivement assimilé à Judas dans les célébrations de la Semaine Sainte. A la fin de la procession du mercredi saint, il finit pendu à la porte de l’église.
Au cours des dernières années, la prise de conscience chez les indigènes de leur culture comme d’un moyen de résistance et de cohésion sociale a coïncidé avec la résurgence du Maximon, personnage hybride symbolisant le métissage sacré au Guatemala. Cette force les a aidés à supporter des problèmes aussi difficiles que la marginalisation et la violence de la part de l’Etat et au même moment, l’assaut de nombreuses sectes chrétiennes et protestantes d’origine anglo-saxonne totalement étrangères à leur culture, stratégie gouvernementale pour prévenir le fleurissement d’idées communistes au sein de la communauté indigène. Ne serait-ce que dans la zone du Lac de Atlitán, on relève la présence de mormons, de témoins de Jéhovah, d’adventistes du septième jour etc. dans cet impressionnant mélange de culture se parle par ailleurs, trois langues indigènes : le Quiche, le Cakchikel et leTzutuhil.
La zone du lac de Atitlan fut soumise à l’évangélisation dès l’arrivée des espagnols au XVIe siècle. Dans son livre sur le Maximon, Sylvie Pedron cite une étude réalisée par Alain Breton et Anna Cazalès dans laquelle ils établissent que, bien que les indigènes aient adopté les images et pratiques chrétiennes, ils ont aussi gardé en mémoire le souvenir de leurs divinités et ont logé les nouveaux dieux importés dans leur univers sacré par un processus d’analogie et de correspondances de personnages et rituels facilité par le fait que le clergé fit construire ses églises exactement sur les lieux de cultes mayas. De telle sorte que, malgré les nombreuses tensions entre les deux groupes, leurs cultes finirent par se mêler, évidement avec une prédominance chrétienne.
Le théoricien français Jean Jacques Wunenburguer (Wnenburger, le fête, le jeu et le sacre, 1997) nous donne une idée de la force immense que peut exercer une image sacrée pour rassembler une communauté, avec le concept qu’il appelle Numineux et qui désigne une sorte de sentiment, un état de domination irrationnel auquel sont soumis les fidèles lorsqu’ils entrent en contact avec l’image. Une particularité du Numineux, est que cette relation est dépouillée du composant moral qui pèse tant sur le sacré.
Le contact avec la puissance de l’image est vécu comme une expérience à forte charge émotive, des sentiments contradictoires y cohabitent. D’un côté une force qu’il appelle « tremendum », qui produit l’épouvante et qui peut se manifester physiquement par l’épuisement, des hallucinations mystiques, des sensations d’angoisse et déboucher sur un sentiment de dépendance par rapport à la divinité. Dans une première lecture cette force pourrait être assimilée à une force centrifuge repoussant les croyants qui s’en approcheraient.
D’un autre côté, le sentiment appelé « majestas » qui contrecarrerait le précédent, comme une force centripète, par le pouvoir de séduction de l’image, la fascination qu’elle produit chez les fidèles qui s’en approche. Un troisième élément caractérise le Numineux, il s’agit de l’ « orgé », lié aux expressions affectives intervenant dans le rituel, d’excitation et de passion par des processus de symbolisation.
Ces trois éléments se conjuguent dans un extase contrasté par une catégorie cognitive qui équilibre la relation avec l’image à travers une recherche de sens, de pensée réflexive se concrétisant comme un discours dans lequel se situent les récits mythiques qui contribuent à donner un sens à la présence de l’homme dans le monde ; le numineux est de cette manière pénétré par le rationnel. Ainsi le sacré oscille-t-il entre le dionysiaque et l’apollinien. Cette tension entre la charge émotionnelle et le discours est présente dans les rituels qui nourissent le culte religieux et la représentation qui est faite des déités.
Le rapport à l`image peux aller au de la de son apparence immédiate, de son usage, de sa valeur monétaire il y a un il peut y avoir un symbolisme le donne un nouvelle valeur. L’image symbole peut changer une image profane en image sacrée en lui conférant, au-delà de la première apparence, un autre sens lié à la « puissance d’une totalité cosmique » (Wunenburger, Le Sacré, 1981 pag.21)
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Santiago de Atitlan, photo de Tom Waters |
Ces mécanismes permettent de distinguer les objets sacrés des profanes. Ce qui est intéressant dans le cas du culte de Maximon est la capacité des indigènes à recycler des objets profanes d’usage quotidien tels que des chapeaux, des tissus et même des chaussures de sport pour donner à Maximon ou Saint Simon des aspects très différents. L’image est ainsi tellement versatile que l’on pourrait dire qu’il s’agit d’un saint démontable, il existe un Maximon féminin, un Maximon noir, un Maximon barbu, etc. Cette flexibilité impressionnante est liée à la capacité des dieux indigènes à se transfigurer, à changer de personnalité. Le Maximon peut par exemple prendre l’apparence d’une abeille, d’une guêpe, d’un grain de maïz entre autres choses, comme en témoignent diverses chansons populaires de la région du lac Atitlán, comme si le masque que portent tous les Maximon occultait son véritable visage.
La capacité de Maximon à changer de sexe, sa morale discutable, ses pouvoirs malins ou bénins contribuent à ce que la relation entre les fidèles et l’image soit différente de celle établie par les églises catholiques. Nous pouvons dire à première vue que c’est une image plus proche, une image qui, avec sa conduite, revendique le corps, l’accepte sans le renier ni le punir comme cela se produit dans le catholicisme. Maximon n’a pas de conduite exemplaire à présenter à la communauté, il s’agit d’un personnage qui par son comportement, d’une certaine manière, accepte la relativité de la vie.
Sylvie Perron raconte deux anecdotes intéressantes qui montent que quand il s’agit de demander une faveur au Maximon, il n’est pas toujours facile de l’obtenir, il faut négocier et lui apporter des offrandes, et si cela s’avère insuffisant le menacer comme le montre le témoignage suivant de la relation entre une prostituée et l’image :
“ Il faut que je gagne de l`argent. Sinon, je te démolis. Il faut que je me fasse au moins 500 billets par jour. Si tu ne me fais pas gagner d’argent, je ne sais pas ce qui va se passer. Mais je ne t`apporterai plus de fleurs et je ne te laverai plus. Les onctions, ce sera terminé. Je ne te ferai plus rien”. (Pedron Colombani, 2004, PAG. 133)
La relation fidèle – image qui comme dans le cas précédent peut devenir irrespectueuse nous amène à nous interroger sur la façon dont fonctionnerait la catégorie du numineux exposée par Wunenburger dans le cas du Maximon, étant donné que la crainte et la fascination que peut inspirer cette image ne sont pas assez fortes pour éviter des conduites aussi proches entre le saint et les fidèles qui, dans certains cas et malgré la distance qui les sépare, peuvent se retrouver presque d’égal à égal. Comme si le saint était fait sur leurs mesures, sur la mesure de leurs problèmes quotidiens, de leur crises et, bien sûr de leur cosmogonie.
Nous pourrions moins encore dire du Maximon qu’il est aliénant, puisqu’il s’agit d’une image liée à des mythes originaires propres à la communauté, née en son sein et résultant d’un processus complexe de décantation et pouvant stimuler la conscience critique par rapport à d’autres cultes apparus au cours des dernières années. Ce saint subsiste dans le temps et se fortifie malgré le bombardement d’images de reproduction massive comme la publicité, les séries télés, les journaux qui tendent à effacer la frontière entre réalité et image à tel point que la première disparaît derrière la seconde. Dans le cas du Maximon, il s’agit d’une image artisanale, faite de matériaux de récupération au départ par une population indigène mais qui s’étend maintenant aux métisses et qui a été promue par le tourisme qui en a fait une attraction exotique.
L’autre anecdote raconte l’histoire d’un sculpteur de la ville de San Andres de Itzapa qui sculptait un masque et à qui est apparu en rêve l’ex dictateur Jorge Ubico pour lui manifester son désir que ce masque soit fait à son image. On y associe également d’autres personnages de l’histoire du pays comme le président Manuel Estrada cabrera qui facilita l’entrée de la United Fruit Company au Guatemala au début du XIXe siècle, ou le conquistador espagnol Pedro de Alvarado.
Cela montre que le Maximon habite l’imaginaire populaire guatémaltèque d¡une manière dynamique. Il ne s’agit pas d’une image sédentaire, l’errance à laquelle elle a été condamnée lors de son expulsion du temple a favorisé sa proximité avec la communauté, même dans les moments les plus difficiles.
Santiago de Atitlan se situe dans une zone fortement frappée par ce que les livres appellent guerre civile au Guatemala, mais plus qu’une guerre civile, ce que je vois est du terrorisme d’Etat pour prévenir la consolidation de mouvements sociaux paysans et indigènes. Une guerre civile se produit entre des camps belligérants et l’organisation indigène ne réunit pas ces caractéristiques.
NAYRA
L’image théâtrale revêt une certaine complexité comme l’établit le maître colombien Santiago García. Elle se compose de plusieurs aspects : l’expressivité comprenant des moyens acoustiques qui incluent le domaine verbal, la musique et d’autres sons moins conventionnels comme les sons paralinguistiques et les effets sonores. Un espace réel de la représentation qui se produit normalement dans un théâtre, un espace public ou un endroit non conventionnel. Dans ce cas, la pièce de théâtre est présentée dans un théâtre, mais la disposition des spectateurs change, ils ne sont plus face à l’image mais ils l’entourent comme cela se passe dans le théâtre anthropologique qui insiste sur la représentation de rituels. Mais il y a aussi des espaces fictifs qui se constituent avec la complicité des spectateur et qui, dans Nayra, sont le référent d’une diversité religieuse très proche du public sud américain. Des moyens visuels qui vont du corps de l’acteur avec tout son répertoire d’actions non verbales, aux scénographies chargées d’éléments décoratifs comme dans le théâtre traditionnel. Dans Nayra les autels ressortent, chaque saint à sa niche décorée dans certains cas de photographies de personnages dont beaucoup sans doute sont morts dans des circonstances violentes. Ces photos sont des témoignages précieux d’êtres qui habitent la mémoire de leurs êtres chers.
Mise en scene , Nayra |
La performativité qui l’image que l’on montre, qui ne représente que ce qui est, qui cherche à n’avoir aucune connotation, aucune ambiguïté, mais qui, paradoxalement, si elle est accentuée peut acquérir une force significative pour la lecture du spectateur, de par sa capacité à produire des interrogations. On considère que ce sont des images à hauts risques du fait du choc qu’elles peuvent produirent initialement dans le public. A plusieurs reprises dans Nayra, un personnage vêtu d’un costume traditionnel un peu poussiéreux traverse la scène de par en par en ignorant les autres personnages qui sont en scènes. Sa qualité d’image performative lui donne l’effet initial d’être hors contexte.
L’ambiguïté : c’est une caractéristique très traditionnelle des langages artistiques que l’on rencontre lorsque l’image permet plusieurs lecture, lorsqu’elle suggère des interprétations différentes. La lecture implique alors un apport important de l’imagination de la part du spectateur. Une image ambiguë cherche l’effet contraire d’une image performative. Nombreux sont les exemples d’ambiguïté dans Nayra, par exemple le caractère de certains personnages qui évoluent dans une réalité sacrée mais qui en même temps font référence à des problèmes plutôt quotidiens, sans transcendance. Ou encore l’image anachronique d’un chaman d’Amazonie, de ceux qui tiennent cabinet dans les grandes villes latino américaines, interrompu dans son rituel de guérison par un appel sur son portable et qui répond qu’il est en train de travailler et qu’on le rappelle plus tard .
La signification est une opération que réalise le spectateur ou récepteur. A travers sa lecture il donne un sens, une signification à l’image. Une image peut ainsi avoir diverses significations subjectives qui dépendent complètement de la lecture qu’en fait chaque individu. Si l’image correspond à une poétique comme la métaphore, la synesthésie ou d’autres, cette signification s’enrichit substantiellement. Normalement, la difficulté de ce genre d’image est qu’elle donne au lecteur la clé de son interprétation. Le plan de la signification dans Nayra est pour la plupart des spectateurs déconcertante du fait de sa structure dramatique.
Contrairement à la médiation que font la photographie et le cinéma ou la télévision, des appareils ou dispositifs de reproduction de l’image, ce qui est en jeu ici est un langage artistique privilégiant le plan rituel, la relation acteur – public. Si, comme l’affirme Jean- Jacques Wunenburguer « le sacré est le lieu de médiation divine », il nous faudrait alors dire que cette pièce de théâtre est une représentation scénique de cette médiation, une lecture que fait la troupe de cette médiation. Si l’on demande à un spectateur qu’il raconte son expérience d’une pièce de théâtre, le plus probable est qui fasse le récit de l’histoire représentée par les acteurs. Dans le cas de Nayra il n’y a pas d’histoire, pas d’argument dans le sens conventionnel du mot, ni de relation de cause à effet entre les évènements représentés, il n’y a presque même pas de personnage.
La Candelaria mène une réflexion à partir de la religiosité populaire et de la spécificité de l’image théâtrale.
Il est difficile de parler de Nayra. La plupart des articles qui lui sont consacrés souligne la commotion qu’elle provoque dans le public dont elle touche des fibres très profondes de l’inconscient. Certains des personnages sont l’incarnation de mythes, d’autres errent en permanence sur la scène à la recherche d’un saint, d’une vierge, d’une image qui les écoute. La troupe aspire à ce que Nayra ne raconte pas le mythe mais qu’elle dévoile ce qu’il recèle. Selon Santiago García le metteur en scène, (Garcia, 2002) la pièce est structurée comme un processus de mystifications et de démystifications, c'est-à-dire de constructions et de déconstructions qui pour moi opérent aussi comme une sorte de distanciation pour ne pas tomber réellement dans le vertige sacré, car il faut rappeler que nous sommes au théâtre et non dans un véritable rituel religieux. Ici les conventions scéniques ne donne pas lieu à un sentiment comme le numineux qu’inspirent les vraies images sacrées. Nayra est une autre modalité de retrouvailles de dieux et des hommes, c’est une pièce qui explore les frontières entre le rituel religieux et le théâtre, qui nous donne la sensation d’une douleur, d’une fracture très grande en Amérique latine.
Traditionnellement le théâtre de la Candelaria a été un théâtre d’images faites à partir de peu de ressources qui, bien utilisés, produisent des effets extraordinaires dans l’imagination du spectateur. Cela signifie également qu’il y a réellement deux images, celles qui sont produites sur scènes et celles qui se forment dans l’esprit de chaque spectateur.
Pavel Campeanu fait une comparaison intéressante des rôles que les spectateurs jouent dans les rituels religieux et théâtral quand il dit : “ Sur le parcours du spectacle, ou à sa fin, dans la mesure où le message scénique est assimilé par le public, la masse des spectateurs transforme en individus, la quantité amorphe en qualité structurée” (Helbo, 1975). En contrepartie, le rituel religieux attend que les individus venus en fidèles au culte ressortent, à la fin, comme une masse convaincue de sa foi. Les deux rituels sont vécus comme une expérience dans laquelle il y a un compromis affectif et intellectuel du spectateur, mais dans le cas du spectateur de théâtre, une conscience critique de la réalité est inévitablement stimulée, car le théâtre représente la vie des hommes en société, et lorsqu’il représente la vie des dieux, il le fait en leur donnant des attributs humains.
BIBLIOGRAPHIE
Garcia, S. (2002). Teória y práctica del teatro vol. 2. Bogotá: Ediciones La Candelaria.
Helbo, A. (. (1975). Semiologia de la representatión. Bruxelles: Complexe.
Oramas, O. A. (1998). Un précourseur de l`indépendance africaine. Paris: Indigo & côte-femmes,.
Pedron Colombani, S. (2004). Maximon au Guatemala, dieu, saint ou traître. London: Periplus.
Wnenburger, J. J. (1997). le fête, le jeu et le sacre. Paris: Jean Pierre Delarge.
Wnenburger, J. J. (1981). Le sacre. Paris: Presses universitaires de France.
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